« Le fondement moral du végétarisme » a paru initialement en octobre 1975 dans le Canadian Journal of Philosophy (vol. 5, no 2, p. 181-214). Le texte qui suit en est la préface, rédigée à l'occasion du recueil d'articles que Tom Regan publiera sept ans plus tard sous le titre All that Dwell Therein (Berkeley, University of California Press, 1982). Traduction Enrique Utria.

 

Mon intérêt pour le végétarisme est né de l’étude de la vie et des écrits du Mahatma Gandhi. Comme chacun sait, Gandhi était un défenseur de la non-violence (ahimsa), non seulement pour les affaires politiques, mais pour la conduite de la vie en général. Son pacifisme extrême, duquel il dérivait l’obligation de végétarisme, me semblait inadéquat, et je cherchais un fondement moral moins radical au végétarisme, un fondement que ceux qui, parmi nous, appartiennent au monde occidental trouveraient plus accessible (hospitable). Puisque les théories dominantes étaient et (restent) telle ou telle version de l’utilitarisme, d’un côté, et, de l’autre, les théories proclamant des droits moraux fondamentaux, il me semblait que le fondement moral du végétarisme devrait être trouvé parmi ces options. Qu’un tel fondement moral au végétarisme puisse être fourni par une théorie fondée sur les droits est ce que cet article tente de montrer. Tant le droit moral à ne pas subir de souffrances gratuites que le droit à la vie, argumenté-je, sont possédés par les animaux que nous mangeons s’ils sont possédés par les humains que nous ne mangeons pas. Faire souffrir les animaux ne peut être défendu au simple motif que nous aimons le goût de leur chair, et même si les animaux étaient élevés de façon à ce qu’ils mènent une vie généralement plaisante et soient abattus « humainement », cela n’assurerait pas que leurs droits, y compris leur droit à la vie, ne sont pas violés. Malgré l’habitude occidentale qui suppose que c’est aux végétariens qu’il incombe de défendre leur mode de vie « excentrique », cet essai tente de rejeter le fardeau de la preuve sur les épaules de ceux qui devraient le porter – les non-végétariens.
« Le fondement moral du végétarisme » a paru initialement dans le Canadian Journal of Philosophy, Vol. 5, n°2, oct. 1975, p. 198-214, et est reproduit dans ce recueil avec l’autorisation de ce journal. Quand je le relis aujourd’hui, je suis frappé par son style très G. E. Mooréen. Ce fut délibéré. Parce que je voulais fournir au végétarisme un fondement moral ne reposant pas sur des théories morales extrêmement controversées (par ex. le pacifisme radical de Gandhi), j’étais déterminé à ne laisser passer aucune extravagance, aucune émotion, aucune « formule rhétorique » au sein de l’argumentation. Il fallait à cette philosophie une ossature solide (hard core) – claire, rigoureuse, dépassionnée, écrite dans un style approprié, un style qu’on pourrait caractériser à juste titre par une « poussée lourde » (ponderously prodding). J’espère que la tonalité hautement analytique de cet essai sera entendue et comprise dans ce contexte.
Mais ce sont les arguments de cet essai, non son style, qui importent le plus en fin de compte, et il sera utile de citer ses principaux critiques, tant parmi ceux qui en acceptent la conclusion (c.-à-d. que le végétarisme est moralement obligatoire) que parmi ceux qui la refusent. Dans la première catégorie, se trouvent Peter Singer, “Animals and the Value of Life” in Tom Regan (éd.) Matters of Life and Death (New York, Random House, 1980 pour l’édition brochée, et Philadelphia, Temple University Press, 1980 pour l’édition reliée), en particulier p. 244-246, et Singer, “Utilitarianism and Vegetarianism”, Philosophy and Public Affairs, vol.4, 1980, p. 325-337; ainsi que Cora Diamond, “Eating Meat and Eating People”, Philosophy, n°206, 1978, p. 465-480. Parmi ceux qui rejettent l’obligation de végétarisme et contestent les arguments de cet essai, se trouvent R. G. Frey, Interests and Rights: The Case Against Animals (Oxford, Clarendon Press, 1980); Michael A. Fox, “ 'Animal Liberation': A Critique”, Ethics, vol. 88, n°2, 1978, p. 106-118; Jan Narveson, “Animal Rights”, Canadian Journal of Philosophy, vol. 7, n°2, 1977, p. 161-178; Michael Martin, “A Critique of Moral Vege­tarianism”, Reason Papers, 3, Automne 1976, p.13-43, et “Vegetarianism, The Right to Life and Fellow Creaturehood”, Animal Regulation Studies, 2, 1979/80, p. 205-214. J’ai répondu à Fox dans “Fox's Critique of Animal Liberation”, Ethics, vol. 88, n°2, 1978, p. 126-133; à Diamond dans “Cruelty, Kindness, and Unnecessary Suffering”, Philosophy, vol. 55, n°4, 1980, p. 532-541; à Narveson dans “Narveson on Egoism and the Rights of Animals”, Canadian Journal of Philosophy, vol. 7, n°2, 1977, p. 179-186; et à Singer dans “Utilitarianism and Vegetarianism Again”, Ethics and Animals, vol. 2, n°1, 1981, p. 2-7. Bien que je n’aie pas encore répondu aux arguments exposés dans le livre de Frey, nous avons tous deux échangé quelques pensées sur les droits des animaux par le passé. Voyez son “Interests and Animal Rights”, Philosophical Quarterly vol 27, n°108, 1977, p. 254-257, et mon article “Frey on Interests and Animal Rights”, Philosophical Quarterly, vol 27, n°109, 1977, p. 335-337. Voyez aussi une note que j'ai co-écrite avec Dale Jamieson, “Animal Rights: A Reply to Frey”, Analysis, vol. 38, n°1, 1978, p. 32-36, et Frey's “Animal Rights”, Analysis 37 (juin 1977): 186-189. Jamieson défend Narveson contre certaines de mes objections tout en en soulignant de nouvelles dans son article “Rational Egoism and Animal Rights”, Environmental Ethics , vol. 3, n°2, été 1981, p. 167-171. La section II de « Le fondement moral du végétarisme ») est reproduite dans Tom Regan et Peter Singer (éds.), Animal Rights and Human Obligations (Englewood Cliffs, N.J., Prentice-Hall, 1976) et dans Richard Wasserstrom (éd.), Today's Moral Problems, 2nd éd., New York, Macmillan, 1979), p. 572-581. Mes raisons de rejeter le pacifisme de Gandhi sont exposées dans un article au titre quelque peu trompeur, “A Defense of Pacifism”, Canadian Journal of Philosophy, vol 2, n°1, 1972, p. 73-86; repris dans Richard Wasserstrom (éd.), Today's Moral Prob­lems (New York, Macmillan, 1975), p. 452-465.